Pourquoi Nicolas n’a-t-il pas écouté Madame Fouquet ?

Quo non ascendet ? Où ne montera-t-il pas ? Nicolas Fouquet, l’écureuil, pour avoir osé éblouir le Soleil naissant par la somptueuse fête de Vaux du 17 août 1661, jalousé par Colbert, la couleuvre, le paya d’un procès ignominieux. Condamné en décembre 1664 au bannissement et à la confiscation de ses biens. Louis le quatorzième transforma son exil en prison à vie.

” Coupable… seulement de faste… et d’avoir voulu vivre comme un roi ” comme il le reconnait. Dans le temps des mois précédant la mort du Premier ministre Mazarin en mars 1661 à son arrestation par d’Artagnan en septembre 1661, son procès pour lèse-majesté et malversations financières, ce sont ces années du parcours glorieux et de la chute du surintendant des Finances jusqu’à son emprisonnement à Pignerol, que nous restitue Anne de Caumont La Force. Pari gagné, porté par un texte subtil, fin, ciselé, si évocateur et tellement digne du Grand siècle.

L’on se souviendra de la préparation de la fête, de l’énumération du mobilier somptueux de Vaux, des porcelaines du Japon et des laques de Chine, de l’ordonnancement si visuel des mets jusqu’à l’envie de les déguster. Tout était construit pour plaire au roi jusqu’au feu d’artifice clôturant la soirée. ” Lui qui courrait après le temps, jusqu’à la fatigue,… qui jouait avec les grands jusqu’à l’épuisement ” n’était plus rien au matin du 18 août.

 

Pourquoi osa-t-il circonvenir, Louise, la maîtresse royale, pensant entrer dans les grâces du jeune souverain ? Pourquoi vendit-il sa charge de procureur général au Parlement de Paris qui le rendait justiciable du seul Parlement ? Le sentiment d’être inatteignable, ce que pensent tous les politiques dans leur griserie. ” Arrêter le surintendant, je n’ose y croire ” voici ce qu’il ne cesse de penser, lui qui pensionne discrètement la reine-mère, ” le seul à trouver de l’argent pour le roi ” comme il le clame alors qu’il est face au précipice où le jettera la jalousie royale aiguillonnée par Colbert. Il ne voit ni ne comprend rien, ne peut et ne veut entendre sa chute programmée. Un monde nouveau arrive, celui dont Louis a décidé d’être le seul et grand ordonnateur. Il est déjà un homme du passé, face au nouveau monde. Dans son autisme.

 

Face à cet enfermement son épouse, si attentionnée et jalouse des conquêtes de son mari toujours vert et prompt à le démontrer aussi à sa femme, tente désespérément de lui dessiller les yeux. Elle le met en garde, allant jusqu’à le comparer – image tellement drôle – à un artichaut dont l’on jette les feuilles après en avoir mangé le bout. Rien n’y fera. Il est aveugle, croyant jusqu’à son arrestation être l’objet de toutes les sollicitudes de Louis.

 

Portés par une mise en scène subtile, mettant en valeur chaque trait des deux protagonistes, Anne Richard et Daniel Besse se glissent dans leur personnage, donnant vie à ces deux êtres que le malheur réunira et qui ne formeront plus qu’un seul. Jusqu’aux retrouvailles du couple, dans le cachot de Pignerol, lorsque Fouquet tel un enfant se love dans les bras de son épouse. Une image merveilleusement Philippe de Champaigne. Image aussi sublime que celle de la nuque d’Anne Richard si proche de celle de la Jeune fille à la toilette de Nicolas Reignier.

Portrait Passion

Comblée au berceau par le legs culturel de deux familles prestigieuses, Anne de Caumont La Force s’est distinguée grâce à sa fascination pour les destinées d’entreprises et de femmes. En s’intéressant à l’intimité de parcours hors norme, elle a su tracer pour elle-même un chemin singulier et enrichissant. Éditrice, auteure, journaliste pour la presse écrite et la télévision, et Secrétaire générale du prix Femina, celle qui a consacré sa carrière à valoriser la femme signe et publie aux Éditions Dacres sa première pièce, Madame Fouquet, qu’elle dédie à la si mal connue épouse de l’infortuné Surintendant. Pièce qui va paraître ce mois de juin aux éditions Dacres et qui sera créée au Festival d’Avignon en juillet 2018.

De nature déterminée, énergique, intuitive, Anne de Caumont La Force se passionne depuis toujours pour les investigations historiques et économiques. Elle n’aime rien tant que de tirer les fils pour découvrir où ils vont la mener et analyser les comportements. Selon elle, les ressorts psychologiques sont les mêmes, quelles que soient les époques : l’argent, le pouvoir, la passion, la gloire, puis, très souvent, la chute et la déchéance. « Je suis séduite par ce type de promenade à l’intérieur des époques, des familles, d’un être », précise-t-elle. Cette prédisposition pour l’histoire et ces événements qui font basculer un destin viendrait-elle de ses ancêtres ? Son histoire familiale tendrait à le prouver.

Prenez la branche paternelle protestante de Caumont La Force. Jacques a cinq ans quand il réchappe au massacre de la Saint-Barthélemy, dissimulé sous les corps de son père et de son frère aîné passés au fil de l’épée. Il vivra jusqu’à 96 ans et se mariera quatre fois ! La branche maternelle est non moins remarquable. Louis Hachette, fils d’une lingère, se rêvait avocat. Mais le ministre de l’Intérieur ultraroyaliste Joseph de Villele interdit à certains étudiants, dont il fait partie, de préparer le concours à l’École Normale. Il abandonne alors son rêve et achète un fonds de librairie en 1826, près de la Sorbonne, qu’il appellera Brédif. Il ne tardera pas à publier les plus grands auteurs qui se trouvaient être ses amis de l’École Normale.

Percer l’intimité d’une famille, d’une entreprise, d’un être ou d’une œuvre d’art.

Point de jonction de ces deux branches, Anne de Caumont La Force en serait donc la synthèse et la perpétuation en faisant siennes les devises de ses deux ancêtres : « Fit via vi » (“La Force leur montre le chemin”) et « Sic quoque docebo » (“Ainsi, moi aussi j’enseignerai”). Ces devises en bagage culturel, elle devient journaliste, et réalise et produit des portraits de grands leaders politiques comme l’homme d’État égyptien Anouar el-Sadate, la femme d’État indienne Indira Gandhi, l’homme d’État autrichien Bruno Kreisky, l’homme d’État israélien Shimon Peres, etc. De même que la série Par elles-mêmesqui met en valeur les femmes qui se sont distinguées par leur parcours comme la cheffe d’orchestre Claire Gibault, première femme à diriger en 1995 l’orchestre de La Scala de Milan. En parallèle de cette carrière, elle publiera quatre ouvrages qui ont tous comme point commun le désir de percer l’intimité d’une famille, d’une entreprise, d’un être ou d’une œuvre d’art.

Ainsi, avec son premier livre, MM. Lazard Frères et Cie : Une saga de la fortune, paru aux Éditions Grasset en 1987, Anne de Caumont La Force (signé Anne Sabouret) s’intéresse à l’histoire époustouflante, par sa réussite et sa longévité, de cette banque née en 1848. « Chez les grands entrepreneurs, la première génération crée, la deuxième maintient et la troisième dilapide, explique-t-elle. C’est cette phrase que j’avais en tête quand j’ai décidé d’écrire sur la seule grande famille qui n’a pas dilapidé : la banque Lazard Frères & Cie. » Trois ans plus tard paraît Une femme éperdue – Mémoires apocryphes de Mme Caillaux (Éditions Grasset, 1990), l’histoire incroyable de la meurtrière de Gaston Calmette, le patron du Figaro, le 16 mars 1914, au motif de sauver l’honneur de son mari, ministre des Finances. Avec Un prince des affaires (Éditions Grasset, 1996), elle s’est penchée sur la vie d’Ambroise Roux, le mythe vivant du capitalisme français de ce dernier demi-siècle. Enfin, en 2000, avec La passion aux enchères (Éditions Grasset), elle s’intéresse à cinq œuvres d’art pour analyser leur parcours, pénétrer leur intimité et décrypter leur destin de leur conception à ce qu’elle estime leur mort, à savoir l’installation dans un musée ou la vente.

L’appétit des lecteurs pour les romans ou récits historiques

Également négociatrice chez Hachette, puis directrice de collection chez Ramsay et attachée de presse chez Fayard, serait-il exagéré d’avancer qu’Anne de Caumont La Force se plaît en la compagnie des livres ? S’ils étaient son royaume, le prix Femina en serait son jardin, un petit coin de Paradis qu’elle préserverait avec onze autres des membres, tous féminins. Depuis plus de trente ans Secrétaire générale de ce Prix réputé, elle peut témoigner de l’appétit des lecteurs pour les romans ou récits historiques. Elle cite opportunément le Prix Goncourt 2017 décerné à un fait historique L’Ordre du jour, d’Éric Vuillard (éditions Julliard), ou encore le dernier livre de Jean Teulé dont le récit Entrez dans la danse est construit sur une chronique du XVe siècle. Par ailleurs, selon elle, les auteurs se sentiraient plus reconnus avec ce genre d’ouvrage, qui demanderait moins de travail d’écriture… et moins de talent aussi. « Les Français reviennent à l’histoire, car ils se disent déçus par la littérature contemporaine », complète-t-elle.

À mesure de ces années de lecture pour le Prix Femina (295 à 325 livres chaque année), Anne de Caumont La Force observe une tendance qui la stupéfie : « Les auteurs se mettent en scène dans leur livre ! C’est très nouveau. C’était ainsi le cas pour le prix Femina 2017 avec La serpe, de Philippe Jaenada. » En revanche, la Secrétaire générale se refuse à porter un jugement quelconque. « Je suis redevable à l’auteur qui me permet de lire avec passion ou intérêt trois cents pages d’affilée sans le lâcher. Si j’ai lu le livre jusqu’au bout sans être gênée par le fait que l’auteur se mette en scène, c’est qu’il est bon. J’éprouve beaucoup de plaisir, quelle que soit sa forme, à trouver un livre qui me prenne par la main du début à la fin, qui a cette faculté merveilleuse de m’emmener dans une promenade. Nous verrons bien à la rentrée 2018 si le phénomène perdure ! »

Madame Fouquet, sa première pièce à paraître en juin 2018 aux éditions Dacres et créée au théâtre Roi René à Avignon

Dans cette attente, Anne de Caumont La Force concentre toute son attention sur la parution de sa première pièce au éditions Dacres en juin 2018 dans la collection “Les Quinquets de Dacres” et sur sa création au Festival d’Avignon 2018 au théâtre Roi René (6-29 juillet). “C’est grâce à l’enthousiasme de la conseillère artistique Patricia Hostein, qui est aussi la directrice de la collection Les Quinquets de Dacres, que mon projet Madame Fouquet voit le jour, ajoute l’auteure, reconnaissante. Daniel Besse en sera le metteur en scène et jouera le rôle de Nicolas Fouquet. Anne Richard tiendra le rôle de Marie-Madeleine Fouquet.” Après un premier jet à sept personnages, le texte finalisé n’en compte plus que deux (le couple Fouquet). La narration met ainsi en lumière la femme, son rôle, sa perspicacité et sa grandeur d’âme. Marie-Madeleine aimait son mari, lui pardonnait ses frasques, l’alertait contre sa démesure, craignait pour sa vie, et l’a soutenu jusqu’à sa mort et élevé seule ses enfants.

Passionnée par le Château de Vaux-le-Vicomte et fascinée par le destin dramatique du surintendant Fouquet – un destin comme elle les aime alliant passion, argent, gloire et chute –, Anne de Caumont La Force avait l’intuition que son épouse Marie-Madeleine n’était pas la « ravissante idiote » que dépeignait le film Le Roi, l’Écureuil et la Couleuvre, sur un scénario de Didier Decoin. « C’était une femme bien, mariée à quinze ans avec un homme très séduisant et infidèle, précise l’auteure. D’une famille de financiers, née dans la chicane, elle s’est révélée clairvoyante, pugnace, psychologue, politique et costaude moralement dans l’adversité. »

C’est avec émotion que l’auteure se souvient comment elle est venue à créer Madame Fouquet : « J’avais envie de me remettre à écrire, confie-t-elle, mais je me suis aperçue qu’avec la mondialisation, il était vain de continuer la voie des livres d’investigation économique. Je me suis alors souvenue d’une phrase de Bernard-Henri Levy, l’éditeur de Madame Caillaux. Il m’a dit : “Anne, tu as le sens des dialogues !” » Bien entendu, cette pièce devait être historique et mettre en scène un destin de femme ! « Je n’écrirai que des pièces historiques, conclut-elle avec conviction, car elles racontent une histoire et les spectateurs ressortent du théâtre plus cultivé. » Ainsi met-elle en application la devise de son trisaïeul Louis Hachette qui voulait enseigner malgré l’interdiction dont il était frappé : “Sic quoque docebo”. Ainsi, Madame de Caumont La Force, vous aussi, enseignerez-vous !

Nathalie Gendreau

“Madame Fouquet” au festival d’Avignon

Dans un décor et des costumes d’époque, qui incarnent mieux le pouvoir, la démesure, l’orgueil et aussi la déchéance, « Madame Fouquet » est un drame historique, une page de l’Histoire, un portrait de femme exceptionnelle, celui de Marie-Madeleine Fouquet, épouse du riche surintendant des finances de Louis XIV, Nicolas Fouquet.
Marie-Madeleine se révéla une combattante de génie pour sauver son mari d’une mort voulue par le roi.

J’ai choisi Daniel Besse, Metteur en scène, et Anne Richard car nos visions de la femme qu’est Madame Fouquet se rejoignent.
J’ai aussi choisi la création de ce projet à Avignon car le Festival est à la fois un mythe, connu dans le monde entier, et une vitrine